Tu crois ? J'y crois pas ! - D'après Bruno Latour

 

Comment parler de sa foi ? Cette foi qui bouleverse son cœur et sa vie, mais si difficile à exprimer aujourd'hui, sans se faire étiqueter d'hurluberlu, de doux rêveur, de gogo attardé, de fanatique ou d'intégriste…

On a honte de ne pas oser parler de sa foi,
On a honte de vouloir en parler quand même !
On a honte aussi de refuser les conseils des " pros " suggérant des mots lourds, indigestes, lestés du poids des erreurs du passé, ou incompréhensible aujourd'hui.
Comment dire sa passion pour la messe du dimanche ? Elle ne dit plus rien à personne !

On a honte de la haine incrédule ou de l'indifférence amusée des autres,
Ceux qui se moquent de ceux qui s'y rendent !
On a honte quand on y va,
On a honte quand on n'ose pas dire qu'on y va…
On grince des dents parfois sur ce qui s'y dit à l'intérieur,
Mais on bouillonne de rage quand on entend ce qui s'en dit à l'extérieur…
La Parole, le Verbe de Dieu, son message, si extraordinairement sublime pour qui le connaît, le reconnaît… si léger, aérien, plein d'espoir pour notre monde désenchanté, paraît aujourd'hui affreusement embarrassé et écrasé sous le poids d'institutions pesantes, de droit d'un autre âge, de psychologie complexe, de rituels incompréhensibles ! L'expression jadis libre et inventive, féconde et salvatrice, aujourd'hui se dessèche sur la langue. Comment parler de ce qui, pour soi, a tellement de sens, sans que cela paraisse insensé pour l'autre :

Pour celui qui ne croit en rien
Pour celui qui croit en l'homme, ou au progrès, ou à la science…
Pour celui qui croit en quelque chose de supérieur sans savoir vraiment quoi
Pour celui qui croit en un Dieu autre que celui de la Révélation
Pour celui qui ne croit qu'aux bienfaits de la croyance en Dieu
Pour celui qui croit en Dieu mais pas en l'église
Pour celui qui croit en Dieu et en l'église, mais pas au pape
Pour celui qui croit ceci mais qui refuse cela
Pour celui qui croit/ne croit pas… en tout/ou partie… de ceci/cela… avec en plus/en moins cela/ceci…
Quand on se décide enfin à en parler, un peu comme on se jette à l'eau… aussitôt on boit la tasse ! La bouche rejette crapauds et algues gluantes…

Ah ! Avoir les pieds légers pour ne pas laisser de traces sur le sable,
Avoir les mains si habiles pour ne pas faire sentir le scalpel sur la peau,
Des mots si choisis que, malgré leur étrangeté, on les trouverait toujours justes…
Mais il est trop tard pour revenir en arrière ! On s'est lancé, il faut nager ou couler…

Ne pas prendre les rites pour de la foi,
Ni réduire la foi en une successions de rites…
Ne pas confondre la croyance en Dieu avec l'exigence de la Révélation…
Avant même d'aller au cœur du sujet, on choque ! Autant ceux de l'extérieur que ceux de l'intérieur car, bien sûr, chacun a "sa" foi de charbonnier qu'il ne faut pas écorner ! On pense alors lâchement qu'on aurait mieux fait de se taire, ou de rabâcher des clichés, ou de se moquer, comme tout le monde !

Mais comment taire ce bouillonnement intérieur qui transforme le métal en or pur ? Comment ne pas partager cette formidable espérance dans un monde actuel si désenchanté et si chercheur de sens ?
Laisser la place à tous les abus sectaires, fondamentalistes etc. si dangereusement attirants avec leurs certitudes absolues ?
- Surtout pas !
Alors on essaie de parler le plus simplement et subtilement possible des choses religieuses, pour qu'elles aient l'air moins compliquées, moins archéologiquement lettrées, ou au contraire magiques, fantastiques, parsemées de signes et de miracles, ou - pire - niaises, bondieusistes, simplistes et misérabilistes à en pleurer de pitié…

Ne pas mélanger les époques chrétiennes (et leur cortège de grandeurs et de bassesses).
Ne pas sortir les Écritures - leurs mots, leurs images - de leur contexte géographiques, historiques et donc limitées par les connaissances d'alors…
Ne pas faire, avec les mots des Écritures, de nouveaux Dieux sacrés intouchables et non traduisibles en langage compréhensible pour aujourd'hui…
Dire le "message" plus que le rite ou le mot… au besoin, consolidé par une référence.
Comme il est difficile de parler simplement de choses simples, claires, limpides lorsqu'elles ont été alourdies, lestées par des siècles de nécessaires précisions complexes et multiples, appesanties par des rites d'un autre âge si difficiles à comprendre au premier abord, et pourtant si justes dans leur pérennité millénaire…

Mais aussi, comme il est difficile d'entendre simplement un message simple, clair, limpide, lorsqu'on a entendu pendant des décennies :

Un unique mode de pensée " politiquement correct " sur la religion, cet " opium du peuple " destiné à asservir les masses…
Un rappel incessant et appuyé des excès et abus de l'église dans un temps où on se préoccupait beaucoup plus des rites que de la Révélation…
Ou le constat - malheureusement réel - que de tous temps, les religions ont été la motivation affichée d'atroces conflits tous plus sanglants les uns que les autres…
Là, comme partout, le respect de l'autre, de son vécu, de sa pensée, de son expression librement développée… généreront une qualité d'échange nécessaire pour que celui-ci soit fructueux, productif d'horizons nouveaux, d'idées innovantes, de pistes encourageantes, pour l'un autant que pour l'autre.

Il ne s'agit pas de convaincre, mais d'abord écouter l'autre, pour comprendre ce qu'il ressent réellement derrière peut-être des clichés annoncés ; puis simplement d'exprimer, témoigner de son vécu, de sa réalité ressentie personnellement, explicitée avec ses mot à soi, justement choisis, du mieux que l'on peut, en toute simplicité, mais également en toute intelligence… Et revenir toujours à l'essentiel !
Ainsi, celui qui parle devient celui qui écoute, et vice-versa. L'échange se fait harmonieusement, probablement avec des divergences d'idées, mais sans agressivité, dans le respect des idées de chacun, prenant le meilleur des idées de l'autre pour progresser, s'élever, se " spiritualiser " ensemble - quelle que soit sa (non)croyance d'ailleurs !



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