Richesse de la relation - Soeur Emmanuelle

 


J’ai vécu vingt-deux ans dans un bidonville et ce qui m’a vraiment frappée, c’est que là-bas, on n’a rien, mais rien de rien ! Maintenant, on a construit, on a transformé, mais quand je suis arrivée, il y avait des cabanes où l'on vivait à dix, douze personnes. Pas de magasin, pas de cinéma. On ne voyait pas un jouet, ça n’existait pas. Et pourtant il y avait une vraie joie. Personne ne se plaignait. Les gens riaient beaucoup. Tout le monde prenait la vie comme elle était. Moi, c’est tout de même curieux, mais je n’ai jamais ri comme j’ai ri dans le bidonville.


Quand je suis revenue en Europe, naïve, j’ai pensé que j’allais trouver les gens au summum du bonheur de vivre. Au lieu de ça, j'ai trouvé la morosité. Je ne dis pas que tout le monde est morose, bien sûr que non. Mais une grande part des Européens le sont. Et jamais je n’ai vu chez les enfants cette bonne humeur que je voyais au bidonville. Chez les chiffonniers, c'est fou ce que les enfants peuvent rire. Ici, ce n’est pas la même joie de vivre. On demande toujours autre chose, il faut toujours plus...

Alors j’ai cherché, j'ai interrogé et rencontré pas mal de personnes et finalement j’ai trouvé une formule dans Aristote qui m’a paru excellente. Aristote dit que l’homme est un animal qui vit en relation : l’homme a un besoin vital de relations. Et cela m’a fait bien comprendre que dans un bidonville, comme il n’y a rien, la relation a une force incroyable ! Tout le monde se connaît, s’appelle par son nom. Là-bas, au Caire, j’aurais pu boire du thé toute la journée parce que chaque voisin qui passe vous invite à prendre un verre de thé.

On se bagarre aussi ! Et puis on se réconcilie. On se fait l'accolade, on prend le thé ensemble et c'est fini. La clé du bonheur, c’est la relation. Chez nous, chez les chiffonniers, les gens sont en relation permanente. Ici en Europe, sur un même palier, il peut arriver qu'on ne se dise même pas bonjour ! Je crois qu'il faut retrouver la richesse de la pauvreté.

Attention, je ne dis pas qu'il faut être pauvres, mais simplement moins accrochés à ce que nous possédons. Il est tout à fait normal qu’on ait un certain confort chez soi, une voiture, c’est évident, une télévision, pourquoi pas ? C'est utile. Le problème, c’est que toutes ces choses matérielles ne sont pas le but de la vie. La pub vous dit toujours : "Tu dois toujours avoir quelque chose de mieux". Il ne faut pas se laisser "asservir". Il faut savoir que le but de la vie n’est pas d’avoir plus de luxe, plus de plaisir, plus d’argent. Mais que le but de la vie, c’est de vivre en harmonie avec son prochain, avec les autres.



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