Cri de pauvre : La pauvreté, un crime ! - Tewfik Fares


La « pauvreté » est un crime contre l’humanité. Elle est un crime parce qu’elle tue le projet de vie que porte en eux tout homme ou toute femme qui naît au monde. Elle est un crime contre l’humanité parce qu’elle frappe des millions d’êtres humains sur la Terre. Elle est le seul crime dont on dresse rarement les statistiques de la progression ou de la régression parce que, volens nolens, il est partout en progression géométrique. Le dernier rapport de l’Organisation des Nations Unies sur le réchauffement climatique prévoit un « boum » de la pauvreté « irréparable ». Autrement dit, plus il fera chaud, plus les « pauvres » auront froid ! Dans notre monde « mondialisé », les riches deviennent chaque jour plus riches, et les pauvres chaque jour plus nombreux. On ne dit d’ailleurs plus « les riches ». On dit G7, c’est moins provoquant. On dit « seuil de pauvreté », c’est plus rassurant.

La pauvreté ne dit pas son nom. Elle se déguise, se cache, se contient, sous les équivoques de sigles et de périphrases qui témoignent de la grande hypocrisie humaine : « tiers » ou « quart-monde », RMI, CMU, SDF, Pôle Emploi, « sans-abri », « mal-logés », « sans-papiers », « personnes défavorisées », « personnes à faibles revenus », « personnes en difficultés », comme si le mot « Pauvreté » était une appellation contrôlée par les Ministères des Économies et remisée dans les oubliettes des mots honteux. 

Dans les temps reculés, pas si loin pourtant, du siècle dernier, l’espoir d’en sortir était encore un projet sociétal à portée de main. Le Progrès promettait aux enfants ce que les parents n’avaient pas pu avoir. Le niveau de vie montait peu à peu, comme le niveau de l’eau au printemps. Les fils et les filles des pauvres finissaient par faire des enfants de riches. Aujourd'hui, les fils et les filles de riches peuvent devenir des parents pauvres. La misère, aujourd'hui, est à la portée de tous !

Qu’on y prenne garde ! Le cri de l’Abbé Pierre : « la Misère a déclaré la guerre au monde ! » semblait une de ces outrances dont il fut très familier, veilleur magnifique et éveilleur tragique, prophète coupable d’insurrections importunes à la symphonie concertante de la Nouvelle Société de Consommation en laquelle chacun croyait trouver une illusoire consolation.

Qu’on y prenne garde ! Le cri de l’Abbé Pierre était plus qu’un avertissement. C’était un cri de désespoir face à « l’irréparable » qui nous guette : la Pauvreté qui croît pour le plus grand nombre proportionnellement à la richesse pour le plus petit nombre. Nul ne peut plus se dire à l’abri de cette involution qu’aucun Gouvernement, aucune Institution, ne semble en mesure de combattre, de vaincre, ni même de conjurer. Tous les repères sociaux s’estompent nous laissant dans un « brouillard d’avenir » où les loteries (grattages ou « cochages »), deviennent les deux mamelles où s’abreuvent des rêves de jours meilleurs mais improbables. Ni l’École, ni le Travail, ne tracent plus ces lignes de vies où chacun trouvait des chemins à gravir.

Le 9 juillet 1849, à la tribune de l’Assemblée, Victor Hugo s’écriait : « La misère, messieurs… voulez-vous savoir où elle en est, la misère ? Voulez-vous savoir jusqu'où elle peut aller, jusqu'où elle va, je ne dis pas en Irlande, je ne dis pas au Moyen-Âge, Je dis en France, je dis à Paris, et au temps où nous vivons !
Ces jours derniers, un homme, mon Dieu, un malheureux homme de lettres, car la misère n’épargne pas plus les professions libérales que les professions manuelles, un malheureux homme est mort de faim, mort de faim à la lettre, et l’on a constaté, après sa mort, qu’il n’avait pas mangé depuis six jours… Eh bien, messieurs, je dis que ce sont là des choses qui ne doivent pas être ; je dis que la société doit dépenser toute sa force, toute sa sollicitude, toute son intelligence, toute sa volonté, pour que de telles choses de soient pas ! Je dis que de tels faits, dans un pays civilisé, engagent la conscience de la société tout entière… » Et le grand visionnaire de s’écrier, sous les bravos et les applaudissements de ses honorables collègues : « Je voudrais que cette assemblée n’eût qu’une seule âme pour marcher à ce grand but, à ce but magnifique, à ce but sublime, l’abolition de la misère ! ».

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