Cri de pauvre : Aux grands de ce monde - Gustave Thibon

"Tu n'avais pas le droit de me ressembler",
peut dire l'homme d'en bas à l'homme d'en haut.
"Tu as exaspéré et déchaîné ma bassesse
en me révélant le tienne.
L'envie qui me dévore aujourd'hui
n'est que le cadavre de ma vénération d'hier.

Tu as tué en moi le sens vivant de la hiérarchie,
la douceur et la noblesse de l'obéissance.
Elle a eu certes la vie dure,
cette image de ta justice et de ta bonté,
il a résisté longtemps ce pauvre respect ébloui
qui berçait mes rêves et ma fatigue,
mais il a bien fallu qu'il succombe
à la fin sous tes coups.

Tu as fini par me prouver que tu me ressemblais.
Eh bien ! je veux maintenant
que nous nous ressemblions tout à fait
et cette volonté s'appelle révolution,
égalitarisme, communisme...

Pressens-tu le mal que tu m'as fait ?
La justice et l'amour m'ont menti par ta bouche.
Tu m'as amputé de la meilleure partie de moi-même :
ma confiance en toi,
et en tout l'ordre humain et divin que tu représentais.
Car tu étais aussi pour le peuple
le support et le messager du ciel,
et l'image de Dieu s'est pourrie en moi avec ton image.

Par ta faute, je me suis senti seul et orphelin,
j'ai perdu ce sentiment
d'une grande réalité supérieure à moi
et qui me portait, me gardait
et nourrissait dans mon cœur
une résignation sans amertume
et une espérance sans fièvre.

J'ai cessé de me sentir dépassé,
je n'ai plus rien vu au-dessus de moi-même -
au-dessus de ma platitude et de ma faiblesse
si ce n'est le mensonge.

Comprends-tu maintenant
que j'essaie de recréer le monde
à ma misérable image ?"

Commentaires

zinfosweb a dit…
Tient je ne connaissais pas cet auteur et donc encore moins ces textes qui sont par ailleurs vraiment bien, merci pour la découverte.
Anik a dit…
C'était un philosophe et il a écrit son livre "Diagnostics" pendant la dernière guerre (d'où est tiré ce texte) ; j'ai trouvé qu'il restait toujours un peu d'actualité...
Merci de ta visite Thierry