Texte : Finir de vivre n'est pas mourir d'avance - Paul Ricœur

La mort fait partie de la vie.
Mais il y a un danger dans notre société
c'est de considérer une tierce catégorie,
qui serait celle des mourants :
ni tout à fait vivant, ni tout à fait mort,
mais qui sont plutôt du côté des morts car on les appelle mourants.

C'est important d'associer le mot "vie" au thème de la souffrance
parce que c'est bien d'un vivant en fin de vie dont nous parlons,
et non pas de quelqu'un qui serait comme déjà mort.
La vie est aussi faite de souffrance physique et/ou psychologique...
Dans l'existence humaine, il y a nécessairement de la souffrance.
Nous avons un corps, et il est soumis à la maladie,
aux influences intérieures et extérieures, à la vieillesse,
et on ne peut pas prétendre échapper complètement à la souffrance.

Une vie qui ne connaîtra pas de malheur pourrait signifier
que l'on vit de manière très superficielle, très euphorique
et j'ajouterai même, très toxicomaniaque.
Alors comment faire disparaître la souffrance,
qu'elle soit physique ou psychologique ?
En se chargeant de médicaments,
en consommant des drogues pharmaceutiques,
dangereuses comme l'héroïne, le cannabis...

L'on ne peut pas être heureux
si l'on n'assume pas cette part de malheur.
Le bonheur n'est pas le contraire du malheur,
c'est la manière d'assumer le malheur.
C'est important de le dire car la souffrance dans la vie à mes yeux,
n'a pas le même statut que la souffrance dans les ultimes moments.
Votre discours concernant la fin de vie est de combattre la souffrance...
Lorsque l'on est certain que la mort va arriver bientôt,
la souffrance à ce moment-là, ne peut plus être un palier de l'existence,
elle ne peut plus être un malheur que l'on peut assumer.

La souffrance est vraiment quelque chose
qu'il faut combattre par tous les moyens.
La suppression de la douleur en fin de vie,
est prioritaire par rapport à la prolongation des jours.
À quoi ça sert d'ajouter des jours à la vie,
si l'on n'ajoute pas de la vie aux jours ?
Il devrait y avoir comme conséquence à ce soulagement de la douleur,
une diminution des jours à vivre.

Parce que l'objectif principal n'est pas
de prolonger la vie dans la souffrance,
mais de combattre la souffrance même si la vie doit en être écourtée.
Si ce principe est essentiel,
il ne doit pas être toujours respecté
dans le cas où le patient dit qu'il préfère souffrir un peu
pour rester lucide.

Commentaires